Le bonheur c’est un peu comme une goutte d’eau. Un instant vous pensez l’avoir saisie et la seconde d’après il vous glisse entre les doigts….

 

Ezéquiel avait tout pour vivre une vie parfaite et épanouie. Benjamin d’une famille de trois enfants, il avait vu le jour à Milan sous le regard émerveillé de son frère, sa sœur et ses parents. Ezéquiel avait eu une enfance plutôt calme et paisible. Leur famille était plutôt aisée voir très aisée et de ce fait le petit garçon n’avait jamais manqué de rien, que ce soit sur le plan affectif ou sur le plan matériel. Alors qu’il était âgé d’à peine cinq ans, ses parents lui avaient révélé le secret de leur arbre généalogique. Petit Ezéquiel abritait une autre créature, une seconde âme, un animal. Et un jour, ce second être s’élèverait pour prendre sa place lors d’une transformation. Ezéquiel était là le jour où l’animal de son grand frère émergea et depuis cet instant, il ne lui tardait plus qu’une chose, savoir s’il serait un tigre fort et puissant comme papa ou un canidé rusé comme maman.

 

Comme toutes les fratries, les trois enfants Cenzo se chamaillaient souvent mais ils n’en restaient pas moins soudés et proches. Personne ne balançait jamais aux parents, c’était une règle entre eux mais ça ne les empêchait pas de se faire les pires crasses. Ezéquiel ne put assister à la transformation de sa sœur, elle n’était pas avec lui quand elle se produisit ce qui le frustra grandement. Elle aussi était félin et il se demandait si lui, le troisième, allait suivre le même chemin. Il attendait ce jour avec impatience.

 

S’il y avait bien une personne que Ezéquiel admirait en dehors de son grand frère, c’était bien son père. Il était chirurgien et son fils l’idolâtrait vraiment. Le garçon avait pris sa décision, un jour il ferait comme papa, il sauverait des vies. C’était son rêve, il voulait que son père soit fier de lui. Le fameux jour de la transformation arriva, Ezéque était en sport et il heurta un autre gamin assez brutalement pendant un match de foot. Immédiatement, il sentit la colère monter en lui et la transformation venir. Ses parents l’avaient préparé toute sa vie à ce moment alors il s’éclipsa en courant vers les toilettes et c’est là, à l’abris des regards qu’il se transforma laissant la place à un dingo, son dingo. Le soir, quand il rentra à la maison, le jeune homme était tout content et fier d’annoncer la nouvelle à sa famille, ça y est, il était un métamorphe à part entière.

 

Les années passèrent et la petite famille italienne parfaite continua de vivre sa vie. Ezéquiel débuta ses études de médecine à l’âge de 17 ans pour faire « comme papa ». Et c’est lors de sa deuxième année que tout bascula. Je vous l’ai dit, le bonheur ne tient qu’à un fil, et Ezéquiel allait rapidement s’en rendre compte. Tout débuta un lundi, en milieu d’année, il était là, dans sa classe, assis devant une paillasse quand elle poussa la porte de la salle. Grande, blonde, de jolies petites tâches de rousseur, elle s’appelait Lyla. Rien qu’en croisant son regard, il sut, c’était elle, la femme de sa vie, son âme sœur. Et il se rendit aussi compte qu’elle aussi en était consciente. Il décala ses affaires pour qu’elle puisse venir s’asseoir à côté de lui. Les amoureux ne perdirent pas de temps, au bout d’une semaine, Ezéquiel retrouvait sa petite amie à la sortie des cours pour passer du temps avec elle. Ils se l’étaient promis, dans quelques années, ils s’uniraient tous les deux.

 

Cependant, la rencontre de son âme sœur, ça, il n’en parla à personne, ni à ses parents, ni à son frère ou sa sœur, ni à ses amis. Personne. C’était leur secret à tous les deux. Ezéquiel avait ramené bien trop de petites copines à la maison pour que son frangin le prenne au sérieux. Alors, dès que les amoureux avaient un moment, ils se retrouvaient dans le grenier d’une ferme à l’extérieur de la ville, pour s’embrasser, se raconter tous leurs secrets, tout partager et bien entendu, faire l’amour. Mais tout ne pouvait pas durer ainsi parce que le bonheur est comme une goutte d’eau.

 

Lyla faisait partie d’une meute qui venait d’arriver en ville. Mais si la meute avait bougé pour venir à Milan c’était pour échapper aux extrémistes. Elle l’avait dit à Ezéquiel, elle lui avait tout dit, ils n’avaient pas de secret l’un pour l’autre mais lui, il l’avait pris à la légère, les extrémistes, il n’avait jamais connu ça. Pourtant, un jour, alors que les amoureux se trouvaient dans le fameux grenier de la grange, dans les bras l’un de l’autre, ils les sentirent. Ils étaient là, tout prêt. Ezéquiel se redressa et prit la main de Lyla pour prendre la fuite. Au bout de quelques mètres, ils furent séparés et alors que le jeune homme regagnait les rues de la ville, il sut, ils l’avaient eu. Sa douce, sa tendre Lyla n’était plus, tuée par ces extrémistes qu’il ne pensait pas vraiment réels. C’est ce jour-là que Ezéquiel comprit que la vie n’était pas juste, que le cocon doré dans lequel il vivait venait d’éclater.

 

Il rentra à la maison et quand il entra dans le salon, il ne remarqua même pas que ses parents avaient le visage grave. Lui, il était borné, il ne pensait qu’à annoncer la décision qu’il avait prise.

 

-Il faut que je vous parle.

 

« Pas maintenant » avait son grand frère.

 

Mais Ezéquiel avait insisté.

 

-C’est important.

 

« Pas maintenant » avait ajouté sa grande sœur.

 

Mais il s’en moquait, lui était triste et il se foutait bien du reste. Alors il avait lâché.

 

-J’arrête les études, la médecine c’est fini

 

Il avait alors croisé le regard de son père, et il avait compris qu’il valait mieux qu’il s’assoit sur le canapé aux côtés de son frère et de sa sœur. Et c’est ce soir, que leurs parents annoncèrent le divorce. Comme si cette journée n’était pas assez pourrie comme ça. Après avoir perdu son âme sœur, Ezéquiel voyait ses parents se déchirer. Rapidement, une dispute éclata, notamment sur le sujet des études. Et quand Carolina Cenzo, mère aimante prit ses cliques et ses claques pour quitter la domicile conjugale, Ezéquiel parti avec elle. Il suivit sa mère pour la simple et bonne raison qu’elle lui promit de ne jamais l’ennuyer avec ses études. C’était un choix un peu bancal, qui allait déterminer le reste de sa vie. Il quittait son père idole de toujours, son frère qu’il admirait tant et sa sœur qui avait toujours été là pour lui pour traverser le globe.

 

Ils dormirent à l’hôtel cette nuit là et sa mère lui annonça qu’ils allaient vivre en Nouvelle Zélande. Pour être honnête, la seule chose que Ezéquiel savait sur ce pays c’état que c’était là qu’on avait tourné le seigneur des anneaux. Alors la Nouvelle Zélande, pourquoi pas ? Il se voyait déjà habiter dans une sorte de prairie avec des gens de petite taille. Pas du tout Wellington quoi. Caroline prit un appartement dans le centre-ville. Pendant plusieurs mois, le brun se contenta de bourlinguer dans la ville. Il découvrait les lieux, se faisait des amis. Il en apprenait davantage sur les meutes de métamorphes, sur les extrémistes qu’il détestait tant.

 

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais quand les emmerdes arrivent, généralement elles ont tendance à s’accumuler. Carolina Cenzo rencontra un homme. Bon, ça Ezéquiel s’y était plutôt attendu, il ne pensait pas que sa mère resterait seule toute sa vie. Il aurait pensé qu’elle attendrait un peu plus longtemps mais l’amour ça ne se contrôle pas. Et le jeune homme allait devoir faire la connaissance de beau papa. Sauf que beau papa n’arrivait pas seul, beau papa avait une surprise avec lui. Non, pas une bonne surprise. Vous savez le genre de surprise, quand tu vas au macdo, que tu commandes un Happymeal et que t’as un jouet de merde fabriqué par des petits chinois dans une usine. Le genre de jouet où si t’appuie sur le bouton dans le dos, la petite figurine lève les bras. En un mot : Gé-nial.

 

Reprenons, beau papa arrivait donc avec une mauvaise, une très mauvaise surprise. Dès la première fois que Ezéquiel posa ses yeux sur elle, il sut que ça n’allait pas le faire. Tous les poils de sa peau s’étaient dressés comme une alarme lui signalant que cette fille allait lui causer beaucoup de problèmes. Et il était bien loin de la vérité. Il haïssait cette fille, la moindre petite cellule de son corps détestait cette insupportable demi-sœur qu’il venait de remporter à la loterie, comme une mauvaise blague, un poisson d’avril raté qui laissait un goût amer dans la bouche. Et malgré cette haine qui transpirait par tous les pores de sa peau, une infime partie de lui, bien cachée tout au fond, était irrémédiablement attirée par cette fille. Ils emménagèrent ensemble dans cette grande maison et la vie de Ezéquiel devint rapidement un enfer. Il sortait de la salle de bain, elle était là. Il descendait manger un truc discrètement dans la cuisine, elle l’attendait.

 

Oh et il le lui rendait bien. Chewing gum dans le trou de la serrure de sa chambre pour qu’elle ne puisse plus fermer à clé, lancés de balles contre le mur pour l’empêcher de dormir, allumer l’eau froide quand elle était sous la douche. Rapidement, son objectif était devenu simple, pourrir la vie de cette fille par tous les moyens. Et malgré tous les efforts que les deux jeunes mirent en place pour ruiner la vie de leurs parents, leur amour restait plus fort que jamais. Ezéquiel avait bien envie de se barrer de cette maison, après tout, il était assez âgé pour avoir un appart mais dans ces moments-là, sa mère lui rétorquait inlassablement.

 

« Tu veux un appart ? Et bien travaille mon coco, gagne ta vie, reprends tes études même. Et en attendant va vider le lave-linge. »

 

Ah…mettre de l’encre dans la machine à laver alors qu’il y avait les affaires de sa sœur dedans, ça aussi il l’avait fait. Une semaine de sortie, il avait été puni mais ça en valait tellement le coup. Quand elle avait retiré ses fringues toutes roses de la machine, ça avait été mythique. Bon, elle aussi elle avait bien voulu se barrer mais sur ce sujet, leurs parents avaient fait front. Ils voulaient tous les deux un appart et bien ils étaient d’accord pour leurs payer une coloc. Mais ça c’était hors de question. Qu’est ce qu’il y avait de pire que se retrouver dans un grande maison avec cette fille ? Se retrouver avec cette fille dans 15 mètres carrés. Du coup, il restait là pour l’instant.

 

Bon, Ezéquiel avait bien réussi à se trouver du travail. Mais sans diplôme et sans vouloir reprendre ses études de médecine, il ne pouvait pas faire grand-chose. Alors il avait tenté plusieurs trucs, serveur dans une boite de nuit, mannequin, mais tout ça ne payait pas de mine. Et il était dépité de constater que même en faisant des petits boulots, il ne pourrait pas se payer l’appart de ses rêves. Il devait bien reconnaître que vivre aux crochets de beau papa et maman lui allait plutôt bien au final. Il pouvait sortir le soir tant qu’il prévenait, il avait de l’argent de poche et on ne le faisait pas chier pour qu’il reprenne ses études. Non franchement, s’il n’y avait pas eu cette insupportable demi-sœur, sa vie aurait pu être paisible.

Alors, il y avait bien un truc qui lui plaisait, c’était la petite clinique clandestine d’Annie. Il en avait entendu parler par un copain alors il avait été jeté un coup d’œil. Et immédiatement, on lui avait trouvé quelque chose à faire. Et là, il aidait des gens, il aidait des métamorphes blessés. Bien que ses connaissances soient en grande partie théoriques, son père lui avait appris beaucoup de choses pour sur les premiers soins et il retrouvait alors son amour de la médecine. Alors, dès qu’il avait un coup de mou, dès qu’il avait besoin de se vider la tête et d’oublier cette peste à la maison et bien il venait donner un coup de main à Annie et en sortant de là, il était bien plus détendu qu’avant.

 

Pour ce qui était des relations amoureuses, Ezéquiel avait complétement renoncé. Son âme sœur était morte, par conséquent, il savait que peu importe la fille avec laquelle il se mettrait en couple, il y aurait toujours le risque qu’elle finisse par rencontrer son âme sœur. Non, l’amour c’était pas fait pour lui, dans tous les cas, il finirait par être blessé. Alors il préférait les coups d’un soir, bien que ramener une fille dans sa chambre était toujours une étape très compliquée dans la mesure où si sa demi-sœur l’apprenait, il savait qu’elle allait lui pourrir son plan. Et c’était réciproque, alors il évitait de ramener qui que ce soit chez papa maman s’il n’avait pas la certitude que sa frangine ne serait pas là.

 

Enfin, Ezéquiel restait un garçon plutôt sociable qui avait pas mal d’amis. Il avait pu les rencontrer à la clinique ou lors de ses petits boulots dans l’espoir d’accumuler un joli pécule. Mais tout le monde savait très bien qu’avec le jeune homme il n’y avait qu’une seule règle. Si un de ses potes touchait à sa demi-sœur, il était mort et enterré. C’était pour Ezéquiel un acte de plus haute trahison. Mais n’oubliez pas, entre la haine et l’amour il n’y a qu’un pas.