Einar, le guerrier solitaire. C’était là le nom que lui avaient donné ses parents métamorphes lorsqu’il vit le jour, lors d’une nuit orageuse, un instant après sa soeur jumelle Eir, il y a de cela 27 ans. C’était par ce nom et cette signification étrange qu’il avait été appelé, des années durant, sans qu’il n’en comprenne jamais le sens. Et cela était loin d’être la seule chose dont il ne comprit pas le sens durant toute son enfance. Mais les règles avaient toujours été les mêmes au sein de cette famille, au sein de cette secte qui fut son foyer, son cadre, son tout : ne pas chercher à comprendre, ne pas questionner, ne pas douter. Einar s’était appliqué de tout son coeur pour respecter les préceptes, pour suivre le pas d’une dynamique dictatrice et aliénante créée autour de croyances obscures. Petit garçon, il avait toujours voulu plaire à ses parents. Il avait cherché à obtenir d’eux le regard qu’ils posaient sur sa soeur, et que jamais ils ne lui accordèrent une seule fois. Pourtant, étant son jumeau, ne tenait-il pas également en lui une part de cette providence qui entourait l’existence d’Eir ? Ne méritait-il pas qu’on le regarde aussi, qu’on le considère ne serait-ce qu’un peu, malgré son absence de particularité, malgré sa fatale banalité à côté de celle qu’il aimait le plus au monde. Pour autant, jamais Einar n’avait ressenti la moindre jalousie. Seulement une profonde mélancolie, et le désespoir de ne jamais être assez bien.

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Au fil du temps, Einar était devenu une ombre. Celle de sa soeur, qu’il suivait partout sans être vu, sans être reconnu par ceux qui ne juraient que par elle. Mais cette même ombre qui d’un seul regard pouvait percevoir les souffrances de cette dernière, des maux qui faisaient échos entre eux deux. Lorsque l’idée de partir émergea, dans un secret murmure entre les jumeaux, Einar n’hésita aucunement. Quelle loyauté pouvait-il avoir pour ces gens qui ne lui avait jamais exprimé la moindre once d’affection ? Il n’avait qu’elle au monde, et ce monde semblait si vaste au dehors des limites étouffantes de la secte. Ils partirent, main dans la main, les yeux brillants d’impatience face à la liberté qu’ils s’offraient. Mais cette liberté eut un prix que Einar aurait refusé de payer s’il avait pu s’attendre à devoir le payer. En fuyant pour la décrocher, cette liberté fantasmée, ils se perdirent l’un l’autre. Jamais plus ils ne se revirent. Et jamais Einar ne trouva la liberté, enchaîné par ses pensées, par ses regrets, par sa culpabilité. Mais finalement, Einar comprit pourquoi il se nommait ainsi, car il était devenu cet être solitaire amené à se battre pour sa survie. Telle avait été sa destinée. Sa fatalité.

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​Lorsqu’il s’écoula autant d’années de vie à l’intérieur de la secte que d’années de vie dans le vaste monde qui se trouvait au dehors, Lucio, du nom qu’il avait lui-même choisi, posa les pieds à Wellington, accompagné d’un autre métamorphe dont il partageait la route depuis un certain temps. Le vieux puma était malade, leur demandant d’être raisonnable et de laisser derrière eux leur vie nomade. Ils trouvèrent un foyer au sein de la meute Brasier, il y a maintenant deux ans de cela. Le jeune tigre avait changé, évolué, il s’était construit une identité, loin des blessures de rejet du passée, loin de l'oppression et de la possession de ceux qu’il avait laissés derrière lui. Il était presque heureux, si on oubliait cette peine intense qui persistait dans son coeur lorsqu’il pensait à sa soeur. Malheureusement, Lucio fut une des victimes de la crise du sérum. Et durant de trop longues semaines, il fut impacté par la perte de son alter-ego, par la disparition soudaine de ce qui faisait de lui un être complet. Dans la déchéance d’une solitude plus puissante que jamais, il avait vrillé, les plus mauvais aspects de sa personnalité étant remonté à la surface. Et il s’était montré vulnérable, au point de laisser entrer dans sa vie un être qui brisa la joie qu’il avait mit tant de temps à construire. Cette malédiction prit la forme d’un humain, d’un extrémiste avec lequel il eut une tumultueuse et tragique relation, l’ayant mené aux portes de la mort. Une fois encore, ce fut ce puma solitaire dont il avait partagé la route qui le sauva, sacrifiant le peu de vie qui lui restait pour permettre à Lucio de garder la sienne et de retrouver la moitié de ce qu’il était, de retrouver son alter. Aujourd’hui, Lucio, Einar, la Lumière et la Solitude, se tenait debout, au carrefour de la douleur et de la haine, plongé dans une obscurité dont il ne sortirait peut-être jamais.